Vingt mille lieues sous les mers | страница 52



– Parlez, monsieur.

– Vous avez dit que nous serions libres à votre bord ?

– Entièrement.

– Je vous demanderai donc ce que vous entendez par cette liberté.

– Mais la liberté d’aller, de venir, de voir, d’observer même tout ce qui se passe ici – sauf en quelques circonstances rares –, la liberté enfin dont nous jouissons nous-mêmes, mes compagnons et moi. »

Il était évident que nous ne nous entendions point.

« Pardon, monsieur, repris-je, mais cette liberté, ce n’est que celle que tout prisonnier a de parcourir sa prison. Elle ne peut nous suffire.

– Il faudra, cependant, qu’elle vous suffise !

– Quoi ! nous devons renoncer à jamais de revoir notre patrie, nos amis, nos parents !

– Oui, monsieur. Mais renoncer à reprendre cet insupportable joug de la terre, que les hommes croient être la liberté, n’est peut-être pas aussi pénible que vous le pensez !

– Par exemple, s’écria Ned Land, jamais je ne donnerai ma parole de ne pas chercher à me sauver !

– Je ne vous demande pas de parole, maître Land, répondit froidement le commandant.

– Monsieur, répondis-je, emporté malgré moi, vous abusez de votre situation envers nous ! C’est de la cruauté !

– Non, monsieur, c’est de la clémence ! Vous êtes mes prisonniers après combat ! Je vous garde, quand je pourrais d’un mot vous replonger dans les abîmes de l’océan ! Vous m’avez attaqué ! Vous êtes venus surprendre un secret que nul homme au monde ne doit pénétrer, le secret de toute mon existence ! Et vous croyez que je vais vous renvoyer sur cette terre qui ne doit plus me connaître ! Jamais ! En vous retenant, ce n’est pas vous que je garde, c’est moi-même ! »

Ces paroles indiquaient de la part du commandant un parti pris contre lequel ne prévaudrait aucun argument.

« Ainsi, monsieur, repris-je, vous nous donnez tout simplement à choisir entre la vie ou la mort ?

– Tout simplement.

– Mes amis, dis-je, à une question ainsi posée, il n’y a rien à répondre. Mais aucune parole ne nous lie au maître de ce bord.

– Aucune, monsieur », répondit l’inconnu.

Puis, d’une voix plus douce, il reprit :

« Maintenant, permettez-moi d’achever ce que j’ai à vous dire. Je vous connais, monsieur Aronnax. Vous, sinon vos compagnons, vous n’aurez peut-être pas tant à vous plaindre du hasard qui vous lie à mon sort. Vous trouverez parmi les livres qui servent à mes études favorites cet ouvrage que vous avez publié sur les grands fonds de la mer. Je l’ai souvent lu. Vous avez poussé votre œuvre aussi loin que vous le permettait la science terrestre. Mais vous ne savez pas tout, vous n’avez pas tout vu. Laissez-moi donc vous dire, monsieur le professeur, que vous ne regretterez pas le temps passé à mon bord. Vous allez voyager dans le pays des merveilles. L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert à vos yeux. Je vais revoir dans un nouveau tour du monde sous-marin – qui sait ? le dernier peut-être – tout ce que j’ai pu étudier au fond de ces mers tant de fois parcourues, et vous serez mon compagnon d’études. À partir de ce jour, vous entrez dans un nouvel élément, vous verrez ce que n’a vu encore aucun homme – car moi et les miens nous ne comptons plus –, et notre planète, grâce à moi, va vous livrer ses derniers secrets. »