Vingt mille lieues sous les mers | страница 41



L’homme aux yeux doux et calmes m’écouta tranquillement, poliment même, et avec une attention remarquable. Mais rien dans sa physionomie n’indiqua qu’il eût compris mon histoire. Quand j’eus fini, il ne prononça pas un seul mot.

Restait encore la ressource de parler anglais. Peut-être se ferait-on entendre dans cette langue qui est à peu près universelle. Je la connaissais, ainsi que la langue allemande, d’une manière suffisante pour la lire couramment, mais non pour la parler correctement. Or, ici, il fallait surtout se faire comprendre.

« Allons, à votre tour, dis-je au harponneur. À vous, maître Land, tirez de votre sac le meilleur anglais qu’ait jamais parlé un Anglo-Saxon, et tâchez d’être plus heureux que moi. »

Ned ne se fit pas prier et recommença mon récit que je compris à peu près. Le fond fut le même, mais la forme différa. Le Canadien, emporté par son caractère, y mit beaucoup d’animation. Il se plaignit violemment d’être emprisonné au mépris du droit des gens, demanda en vertu de quelle loi on le retenait ainsi, invoqua l’habeas corpus, menaça de poursuivre ceux qui le séquestraient indûment, se démena, gesticula, cria, et finalement, il fit comprendre par un geste expressif que nous mourions de faim.

Ce qui était parfaitement vrai, mais nous l’avions à peu près oublié.

À sa grande stupéfaction, le harponneur ne parut pas avoir été plus intelligible que moi. Nos visiteurs ne sourcillèrent pas. Il était évident qu’ils ne comprenaient ni la langue d’Arago ni celle de Faraday.

Fort embarrassé, après avoir épuisé vainement nos ressources philologiques, je ne savais plus quel parti prendre, quand Conseil me dit :

« Si monsieur m’y autorise, je raconterai la chose en allemand.

– Comment ! tu sais l’allemand ? m’écriai-je.

– Comme un Flamand, n’en déplaise à monsieur.

– Cela me plaît, au contraire. Va, mon garçon. »

Et Conseil, de sa voix tranquille, raconta pour la troisième fois les diverses péripéties de notre histoire. Mais, malgré les élégantes tournures et la belle accentuation du narrateur, la langue allemande n’eut aucun succès.

Enfin, poussé à bout, je rassemblai tout ce qui me restait de mes premières études, et j’entrepris de narrer nos aventures en latin. Cicéron se fût bouché les oreilles et m’eût renvoyé à la cuisine, mais cependant, je parvins à m’en tirer. Même résultat négatif.

Cette dernière tentative définitivement avortée, les deux inconnus échangèrent quelques mots dans leur incompréhensible langage, et se retirèrent, sans même nous avoir adressé un de ces gestes rassurants qui ont cours dans tous les pays du monde. La porte se referma.