Vingt mille lieues sous les mers | страница 18



– C’est ce qui vous trompe, monsieur le professeur, répondit Ned. Que le vulgaire croie à des comètes extraordinaires qui traversent l’espace, ou à l’existence de monstres antédiluviens qui peuplent l’intérieur du globe, passe encore, mais ni l’astronome, ni le géologue n’admettent de telles chimères. De même, le baleinier. J’ai poursuivi beaucoup de cétacés, j’en ai harponné un grand nombre, j’en ai tué plusieurs, mais si puissants et si bien armés qu’ils fussent, ni leurs queues, ni leurs défenses n’auraient pu entamer les plaques de tôle d’un steamer.

– Cependant, Ned, on cite des bâtiments que la dent du narval a traversés de part en part.

– Des navires en bois, c’est possible, répondit le Canadien, et encore, je ne les ai jamais vus. Donc, jusqu’à preuve contraire, je nie que baleines, cachalots ou licornes puissent produire un pareil effet.

– Écoutez-moi, Ned...

– Non, monsieur le professeur, non. Tout ce que vous voudrez excepté cela. Un poulpe gigantesque, peut-être ?...

– Encore moins, Ned. Le poulpe n’est qu’un mollusque, et ce nom même indique le peu de consistance de ses chairs. Eût-il cinq cents pieds de longueur, le poulpe, qui n’appartient point à l’embranchement des vertébrés, est tout à fait inoffensif pour des navires tels que le Scotia ou l’Abraham Lincoln. Il faut donc rejeter au rang des fables les prouesses des Krakens ou autres monstres de cette espèce.

– Alors, monsieur le naturaliste, reprit Ned Land d’un ton assez narquois, vous persistez à admettre l’existence d’un énorme cétacé... ?

– Oui, Ned, je vous le répète avec une conviction qui s’appuie sur la logique des faits. Je crois à l’existence d’un mammifère, puissamment organisé, appartenant à l’embranchement des vertébrés, comme les baleines, les cachalots ou les dauphins, et muni d’une défense cornée dont la force de pénétration est extrême.

– Hum ! fit le harponneur, en secouant la tête de l’air d’un homme qui ne veut pas se laisser convaincre.

– Remarquez, mon digne Canadien, repris-je, que si un tel animal existe, s’il habite les profondeurs de l’océan, s’il fréquente les couches liquides situées à quelques milles au-dessous de la surface des eaux, il possède nécessairement un organisme dont la solidité défie toute comparaison.

– Et pourquoi cet organisme si puissant ? demanda Ned.

– Parce qu’il faut une force incalculable pour se maintenir dans les couches profondes et résister à leur pression.