Vingt mille lieues sous les mers | страница 141
Je suivais ces expériences avec le plus vif intérêt. Le capitaine Nemo y apportait une véritable passion. Souvent, je me demandai dans quel but il faisait ces observations. Était-ce au profit de ses semblables ? Ce n’était pas probable, car, un jour ou l’autre, ses travaux devaient périr avec lui dans quelque mer ignorée ! À moins qu’il ne me destinât le résultat de ses expériences. Mais c’était admettre que mon étrange voyage aurait un terme, et ce terme, je ne l’apercevais pas encore.
Quoi qu’il en soit, le capitaine Nemo me fit également connaître divers chiffres obtenus par lui et qui établissaient le rapport des densités de l’eau dans les principales mers du globe. De cette communication, je tirai un enseignement personnel qui n’avait rien de scientifique.
C’était pendant la matinée du 15 janvier. Le capitaine, avec lequel je me promenais sur la plate-forme, me demanda si je connaissais les différentes densités que présentent les eaux de la mer. Je lui répondis négativement, et j’ajoutai que la science manquait d’observations rigoureuses à ce sujet.
« Je les ai faites, ces observations, me dit-il, et je puis en affirmer la certitude.
– Bien, répondis-je, mais le Nautilus est un monde à part, et les secrets de ses savants n’arrivent pas jusqu’à la terre.
– Vous avez raison, monsieur le professeur, me dit-il, après quelques instants de silence. C’est un monde à part. Il est aussi étranger à la terre que les planètes qui accompagnent ce globe autour du soleil, et l’on ne connaîtra jamais les travaux des savants de Saturne ou de Jupiter. Cependant, puisque le hasard a lié nos deux existences, je puis vous communiquer le résultat de mes observations.
– Je vous écoute, capitaine.
– Vous savez, monsieur le professeur, que l’eau de mer est plus dense que l’eau douce, mais cette densité n’est pas uniforme. En effet, si je représente par un la densité de l’eau douce, je trouve un, vingt-huit millièmes pour les eaux de l’Atlantique, un, vingt-six millièmes pour les eaux, du Pacifique, un, trente millièmes pour les eaux de la Méditerranée... »
« Ah ! pensai-je, il s’aventure dans la Méditerranée ? »
« Un, dix-huit millièmes pour les eaux de la mer Ionienne, et un, vingt-neuf millièmes pour les eaux de l’Adriatique. »
Décidément, le Nautilus ne fuyait pas les mers fréquentées de l’Europe, et j’en conclus qu’il nous ramènerait – peut-être avant peu – vers des continents plus civilisés. Je pensai que Ned Land apprendrait cette particularité avec une satisfaction très naturelle.