Vingt mille lieues sous les mers | страница 12



Conseil, jusqu’ici et depuis dix ans, m’avait suivi partout où m’entraînait la science. Jamais une réflexion de lui sur la longueur ou la fatigue d’un voyage. Nulle objection à boucler sa valise pour un pays quelconque, Chine ou Congo, si éloigné qu’il fût. Il allait là comme ici, sans en demander davantage. D’ailleurs d’une belle santé qui défiait toutes les maladies ; des muscles solides, mais pas de nerfs, pas l’apparence de nerfs – au moral, s’entend.

Ce garçon avait trente ans, et son âge était à celui de son maître comme quinze est à vingt. Qu’on m’excuse de dire ainsi que j’avais quarante ans.

Seulement, Conseil avait un défaut. Formaliste enragé, il ne me parlait jamais qu’à la troisième personne – au point d’en être agaçant.

« Conseil ! » répétai-je, tout en commençant d’une main fébrile mes préparatifs de départ.

Certainement, j’étais sûr de ce garçon si dévoué. D’ordinaire, je ne lui demandais jamais s’il lui convenait ou non de me suivre dans mes voyages ; mais cette fois, il s’agissait d’une expédition qui pouvait indéfiniment se prolonger, d’une entreprise hasardeuse, à la poursuite d’un animal capable de couler une frégate comme une coque de noix ! Il y avait là matière à réflexion, même pour l’homme le plus impassible du monde ! Qu’allait dire Conseil ?

« Conseil ! » criai-je une troisième fois.

Conseil parut.

« Monsieur m’appelle ? dit-il en entrant.

– Oui, mon garçon. Prépare-moi, prépare-toi. Nous partons dans deux heures.

– Comme il plaira à monsieur, répondit tranquillement Conseil.

– Pas un instant à perdre. Serre dans ma malle tous mes ustensiles de voyage, des habits, des chemises, des chaussettes, sans compter mais le plus que tu pourras, et hâte-toi !

– Et les collections de monsieur ? fit observer Conseil.

– On s’en occupera plus tard.

– Quoi ! les archiotherium, les hyracotherium, les oréodons, les chéropotamus et autres carcasses de monsieur ?

– On les gardera à l’hôtel.

– Et le babiroussa vivant de monsieur ?

– On le nourrira pendant notre absence. D’ailleurs, je donnerai l’ordre de nous expédier en France notre ménagerie.

– Nous ne retournons donc pas à Paris ? demanda Conseil.

– Si... certainement..., répondis-je évasivement, mais en faisant un crochet.

– Le crochet qui plaira à monsieur.

– Oh ! ce sera peu de chose ! Un chemin un peu moins direct, voilà tout. Nous prenons passage sur l’Abraham Lincoln.

– Comme il conviendra à monsieur, répondit paisiblement Conseil.