Vingt mille lieues sous les mers | страница 119
« Un accident ? lui dis-je.
– Non, un incident, me répondit-il.
– Mais un incident, répliquai-je, qui vous obligera peut-être à redevenir un habitant de ces terres que vous fuyez ! »
Le capitaine Nemo me regarda d’un air singulier, et fit un geste négatif. C’était me dire assez clairement que rien ne le forcerait jamais à remettre les pieds sur un continent. Puis il dit :
« D’ailleurs, monsieur Aronnax, le Nautilus n’est pas en perdition. Il vous transportera encore au milieu des merveilles de l’océan. Notre voyage ne fait que commencer, et je ne désire pas me priver si vite de l’honneur de votre compagnie.
– Cependant, capitaine Nemo, repris-je sans relever la tournure ironique de cette phrase, le Nautilus s’est échoué au moment de la pleine mer. Or, les marées ne sont pas fortes dans le Pacifique, et, si vous ne pouvez délester le Nautilus – ce qui me paraît impossible je ne vois pas comment il sera renfloué.
– Les marées ne sont pas fortes dans le Pacifique, vous avez raison, monsieur le professeur, répondit le capitaine Nemo, mais, au détroit de Torrès, on trouve encore une différence d’un mètre et demi entre le niveau des hautes et basses mers. C’est aujourd’hui le 4 janvier, et dans cinq jours la pleine lune. Or, je serai bien étonné si ce complaisant satellite ne soulève pas suffisamment ces masses d’eau, et ne me rend pas un service que je ne veux devoir qu’à lui seul. »
Ceci dit, le capitaine Nemo, suivi de son second, redescendit à l’intérieur du Nautilus. Quant au bâtiment, il ne bougeait plus et demeurait immobile, comme si les polypes coralliens l’eussent déjà maçonné dans leur indestructible ciment.
« Eh bien ! monsieur ? me dit Ned Land, qui vint à moi après le départ du capitaine.
– Eh bien ! ami Ned, nous attendrons tranquillement la marée du 9, car il paraît que la lune aura la complaisance de nous remettre à flot.
– Tout simplement ?
– Tout simplement.
– Et ce capitaine ne va pas mouiller ses ancres au large, mettre sa machine sur ses chaînes, et tout faire pour se déhaler ?
– Puisque la marée suffira ! » répondit simplement Conseil.
Le Canadien regarda Conseil, puis il haussa les épaules. C’était le marin qui parlait en lui.
« Monsieur, répliqua-t-il, vous pouvez me croire quand je vous dis que ce morceau de fer ne naviguera plus jamais ni sur ni sous les mers. Il n’est bon qu’à vendre au poids. Je pense donc que le moment est venu de fausser compagnie au capitaine Nemo.